Plus de carotte que de bâton, plus d’argent que de contrôle. C’est ce que demandent les représentants du secteur agroalimentaire de l’Union européenne à Bruxelles. Leurs souhaits sont résumés dans un document stratégique présenté le 4 septembre et remis directement entre les mains de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Après les violentes manifestations d’agriculteurs à base de fumier et de pneus incendiés, qui ont atteint le cœur de la capitale européenne, l’exécutif européen avait fait plusieurs pas en arrière, notamment en matière de contraintes environnementales.
Pour trouver un compromis et mettre fin à la lutte acharnée, von der Leyen a chargé le professeur allemand Peter Strohschneider d’élaborer un plan d’action en consultant petits et grands producteurs, scientifiques, ONG, organisations financières et de consommateurs. Ce projet ne sera pas entièrement adopté par la Commission, mais Strohschneider aura très probablement un rôle consultatif, ce qui signifie que le travail qu’il a commencé ne s’arrêtera pas là.
Les demandes
Le secteur rural réclame une rémunération adéquate, une plus grande reconnaissance dans la chaîne de production alimentaire mais surtout des incitations économiques pour contribuer à la durabilité environnementale. Le mot clé répété à plusieurs reprises par von der Leyen est « confiance » envers les agriculteurs, ceux-là mêmes qui ont défié à plusieurs reprises les institutions européennes, en descendant dans la rue tant dans les différents États membres qu’en pénétrant au cœur des institutions européennes.
La confiance se traduit, en termes simples, par la promesse de réduire à la fois les contrôles et la bureaucratie. « Le monde agricole est parmi les premières victimes de ces crises, mais en même temps le secteur dispose de nombreuses solutions pour atténuer, voire parfois inverser les effets », a rappelé l’homme politique allemand. Les producteurs alimentaires demandent moins de contraintes pour devoir démontrer leur engagement concret en faveur de la transition énergétique et visent à recevoir des fonds spécifiques, extérieurs à la Politique Agricole Commune, pour se consacrer à des pratiques de production ayant moins d’impact sur la nature.
Même si le professeur Strohschneider a parlé à plusieurs reprises d’un « large consensus » sur les recommandations et les mesures requises, de sérieux doutes subsistent. Même la précédente réforme de la PAC, celle élaborée au nom du Green Deal et de la protection de l’environnement, avait recueilli un consensus unanime, pour ensuite assister à un retrait stratégique des syndicats agricoles du Copa-Cogeca, qui a ensuite donné lieu à des manifestations de derniers mois.
D’où vient le rapport sur l’avenir de l’agriculture ?
Alors que le quartier européen était rempli de tracteurs et d’agriculteurs en colère, de statues démolies et de tonnes de fumier jetées dans les rues, Ursula von der Leyen a annoncé une réunion à laquelle participeraient les principales organisations intéressées par le secteur agroalimentaire (de la Copa- Cogeca à Greenpeace et Slow Food) pour formuler des recommandations communes. Le « Dialogue sur l’avenir de l’agriculture européenne » est immédiatement apparu comme un moyen de gagner du temps et de souffler un peu face à la pression croissante exercée sur le secteur agricole à quelques mois des élections européennes.
L’exécutif européen a également pris des mesures pour offrir rapidement des concessions aux lobbies agricoles, réunis sous l’égide du Copa-Cogeca, supprimant certaines restrictions environnementales. Pendant ce temps, le projet de loi sur la réduction des pesticides a lamentablement échoué.
Les principales recommandations du monde agricole
Arrivent maintenant 110 pages de recommandations adressées à von der Leyen, qui promet d’en faire la base d’une nouvelle stratégie agroalimentaire qui sera présentée dans les 100 premiers jours de son entrée en fonction lors de son deuxième mandat à la tête de l’UE. Le rapport final, divisé en dix principes directeurs et 14 recommandations, presse avant tout les décideurs européens sur deux enjeux : des revenus équitables pour les agriculteurs et les incitations nécessaires pour réaliser la transition écologique du secteur rural, jugée essentielle, mais aussi particulièrement coûteuse en une période secouée par l’inflation et l’impact prolongé de la guerre en Ukraine.
Aide de l’UE à l’agriculture aux consortiums et aux grandes entreprises : que des miettes pour les petits agriculteurs
Au centre des demandes se trouve la définition de la politique agricole commune. L’une des principales recommandations appelle à accorder un soutien direct aux agriculteurs « qui en ont le plus besoin », plutôt que de lier les subventions à la superficie en hectares possédée ou au respect des normes environnementales.
De nouveaux critères devraient donc être introduits en vue de la définition de la PAC 2028-2035. Grâce à ce nouveau soutien ciblé, précise le rapport, il sera possible « d’éviter l’abandon des entreprises agricoles et de contribuer à garantir aux agriculteurs un revenu décent ». La mesure devrait offrir un soutien notamment aux petites entreprises, aux jeunes agriculteurs, aux nouveaux opérateurs du secteur et à ceux qui opèrent « dans des zones soumises à des contraintes naturelles ».
Le Fonds de Transition Temporaire
Un autre point clé concerne la mise en place d’un fonds spécifique, appelé « Fonds Temporaire de Transition », qui mobilise des ressources complémentaires à celles prévues par la PAC, pour accompagner les enjeux de la transition. Plus d’argent donc, lié à des demandes spécifiques en matière de durabilité. Toutefois, il n’est pas précisé comment le financer. Sur ce point, le rapport précise simplement que le fonds « devrait apporter un soutien ponctuel à l’investissement (sous forme de prêts ou de subventions) aux agriculteurs et autres acteurs du système alimentaire pour leur transition », comprenant non seulement des investissements matériels mais aussi des investissements immobiliers. de compétences spécifiques.
Toujours au sujet des fonds, les auteurs du rapport appellent à une coopération entre les secteurs public et privé « pour mieux mobiliser les capitaux pour des projets qui permettent aux petits et grands agriculteurs et aux acteurs du système alimentaire de faire la transition vers des pratiques et des systèmes durables ».
Parmi les formes de coopération, sont mentionnés les partenariats avec des banques privées et des banques de promotion des investissements, ainsi que l’implication de la Banque européenne d’investissement. Une autre demande spécifique concerne la protection du crédit. Dans une période de risques élevés liés à la fois au changement climatique et à la situation géopolitique instable, « une plateforme de financement paneuropéenne dédiée, soutenue par les autorités nationales et européennes, les banques nationales, les banques et les compagnies d’assurance » est nécessaire.
Ressources spécifiques pour la restauration de la nature
Un autre point central en termes de financement concerne la mise en place d’un fonds spécifique pour la restauration de la nature, doté de « ressources adéquates » en plus de celles déjà prévues par la PAC « pour accompagner les agriculteurs et autres gestionnaires des terres dans la restauration et la la gestion des habitats naturels à l’échelle du paysage, pour atteindre les objectifs de protection de la biodiversité, sans affecter la productivité et la compétitivité du monde agricole, « il faut un budget dédié et proportionné qui satisfasse toutes les ambitions de manière équilibrée et égale », écrit le auteurs du rapport.
Un autre domaine d’intérêt est l’étiquetage. Après la furieuse bataille contre le Nutriscore, menée en première ligne par l’Italie, la demande adressée à la Commission européenne de revoir le système continental des labels agroalimentaires pour garantir aux consommateurs « une information fiable, complète, valable dans toute l’UE », et qui est facilement accessible et compréhensible.
Au niveau des négociations commerciales, voir l’entrée Mercosur (l’accord très contesté avec certains pays d’Amérique du Sud), il est demandé à l’exécutif européen de « mieux reconnaître l’importance stratégique de l’agriculture et des produits alimentaires dans les négociations commerciales », en réalisant des « évaluations d’impact ». avant d’initier des accords. Les doutes du monde agricole sur le système d’échange de quotas d’émission demeurent.
« Tout en reconnaissant la nécessité d’une politique ambitieuse, le dialogue stratégique considère qu’il est prématuré de tirer des conclusions définitives sur un éventuel futur système d’échange de quotas d’émission pour l’agriculture et appelle la Commission européenne à travailler davantage avec les parties prenantes et les experts pour évaluer la faisabilité et la pertinence d’un tel système. un système », indique le rapport.