Le ministre de l’Agriculture, Francesco Lollobrigida, a pris un décret accordant une exemption aux producteurs de vin italiens : ils pourront continuer à vendre leurs bouteilles pendant trois mois avec les étiquettes déjà imprimées, et non avec celles demandées par la Commission européenne dans le cadre d’une nouvelle loi qui entrera en vigueur demain dans toute l’UE. Coldiretti s’est immédiatement réjouie : « Cinquante millions d’étiquettes de vins made in Italy qui risquaient d’être gaspillées ont été sauvées », a déclaré l’organisation, faisant écho aux plaintes des producteurs italiens et européens. Cela met fin à une polémique née le 24 novembre et qui a retenu l’attention des médias et des réseaux sociaux, sur fond de refrain désormais classique de la « mauvaise » eurobureaucratie qui veut mettre à genoux les entreprises italiennes. Mais les choses sont-elles vraiment ainsi ? Selon la Commission européenne, il semble qu’il s’agisse d’une sorte de tempête dans un verre d’eau : aucune des étiquettes déjà imprimées n’aurait dû être jetée. Autrement dit, le décret ministériel ne servirait à rien.
Oui, car Bruxelles a tenu à publier une note pour expliquer de quoi il s’agit même aux non-experts. Tout d’abord, de quoi parlons-nous : à partir du 8 décembre, un règlement (approuvé en 2019) entre en vigueur dans toute l’Union européenne qui oblige les établissements vinicoles à afficher une série d’informations sur l’étiquette, notamment les ingrédients et les valeurs nutritionnelles du du vin et des produits vinicoles aromatisés. Rien d’extraordinaire : les produits alimentaires affichent déjà cette information, et le vin en était jusqu’ici exempté. Le règlement n’a cependant pas été bien accueilli par les producteurs dès la présentation du texte. Et la pression du secteur avait abouti à un compromis : l’information ne doit pas nécessairement figurer sur l’étiquette papier, mais peut être présente sur une page en ligne à laquelle le consommateur peut accéder via un code QR.
Cette solution n’a pas plu aux organisations de consommateurs, qui estiment qu’il est compliqué pour quiconque, même les plus experts en informatique, de comparer des bouteilles de vin au supermarché à l’aide de codes QR. Mais le compromis a été adopté et les producteurs ont eu quatre ans pour se conformer aux nouvelles obligations. Un point du règlement restait flou : comment faire comprendre aux clients que ce code mène à des informations sur les ingrédients ? Les producteurs italiens et européens ont pensé qu’il suffirait d’utiliser le symbole enregistré ISO 2760, c’est-à-dire ce signe circulaire noir et blanc avec la lettre « i » à l’intérieur, qui indique « information ». On ne sait pas si quelqu’un au Ceev, le grand lobby européen du secteur, a demandé l’avis de la Commission sur cette solution. Bien entendu, la plupart des constructeurs ont choisi cette voie. Mais le 24 novembre, soit deux semaines après l’entrée en vigueur du règlement, la douche froide est arrivée : Bruxelles a publié un document dans lequel elle explique que le « i » n’est pas une indication claire pour les consommateurs, et que sur l’étiquette papier au moins le mot « ingrédients » doit être écrit.
Ciel ouvert : Ceev passe à l’attaque et tire la sonnette d’alarme sur des millions de bouteilles en danger. L’Union italienne du vin parle de 50 millions d’étiquettes rien que dans notre pays qui risquent d’être jetées dans les décharges (ou recyclées). Les producteurs demandent (et obtiennent) l’intervention des politiques les plus sensibles à leurs demandes. Nous arrivons ainsi au décret de Lollobrigida. Il est dommage qu’au même moment la Commission, comme l’avait déjà déclaré l’un de ses porte-parole le 30 novembre dernier, ait publié une note assez claire : « Les nouvelles règles s’appliqueront à tous les vins et produits vitivinicoles issus de la récolte 2024 tandis que tous les vins produits avant le 8 décembre 2023, ils seront toutefois exemptés des nouvelles règles jusqu’à épuisement des stocks », écrit Bruxelles. En d’autres termes, les bouteilles actuellement en stock, prêtes à être vendues dans les supermarchés et à arriver dans les foyers italiens, peuvent rester avec les étiquettes déjà imprimées. L’obligation d’inscrire le mot magique « ingrédients » ne se déclenchera qu’avec les vins de la prochaine récolte.
Le décret du ministre, selon ce qu’écrit la Commission, semble donc inutile. Et c’est peut-être pour mieux : la réglementation européenne s’applique sur le territoire national puisqu’elle est approuvée par les 27 États membres (dont l’Italie). Mais au-delà de cet aspect, reste le mystère du cancan médiatique généré par ce qui apparaît comme un gigantesque malentendu.
A Bruxelles, il y a ceux qui disent que ce qui déclenche les producteurs, ce n’est pas tant le problème technique (et économique) immédiat (qui n’existe apparemment pas), mais le fait de devoir insérer le mot « tôt ou tard ». sur l’étiquette en papier. Ce qui pousserait beaucoup plus de consommateurs à s’informer sur ces ingrédients qu’avec la seule lettre « i ». Apparemment, il existe des maisons de vin importantes et prestigieuses qui n’ont aucun intérêt à révéler tous leurs secrets. « Le vin peut contenir une large gamme de « Des additifs pour contrôler le goût, la force et l’apparence : du soufre, du sucre, des blancs d’œufs, des vessies de poisson séchées, des enzymes pancréatiques de porc ou de vache et toute une série de composés chimiques », explique l’AFP.
La liste de ces ingrédients est très longue pour les vins produits en agriculture conventionnelle. « Un producteur biologique qui ajoute très peu de choses supplémentaires à son vin peut créer une étiquette en papier pour la bouteille avec tous les ingrédients, alors qu’un producteur conventionnel aurait besoin d’un dictionnaire, il est donc clair qu’un code QR est nécessaire », explique-t-il. sarcasme Julien Guillot, vigneron bourguignon bien connu.
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