Tous les ennemis de l’Iran : qui est réellement derrière le massacre de Kerman

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

Au lendemain des explosions de Kerman, en Iran, qui ont fait des dizaines de morts et plus d’une centaine de blessés, personne n’a encore revendiqué l’attaque. Téhéran a immédiatement pointé du doigt les États-Unis et Israël, mais la liste des ennemis du régime iranien est longue et la manière dont l’attaque a été menée, selon Washington, suggère que la main est entre les mains des groupes terroristes actifs de longue date en Iran. . Les deux reconstructions sont étayées par des preuves. Voyons lesquels.

Le Grand Satan…

Partons de la version de Téhéran : pour l’Iran, c’est la main d’Israël qui a été à l’origine de l’attaque avec le soutien des États-Unis, respectivement le « Petit » et le « Grand Satan » comme les définit le régime iranien. Téhéran n’a avancé aucune preuve pour étayer cette thèse, mais le jour et le lieu des explosions amènent facilement la population iranienne à associer le massacre à Washington.

Les bombes ont en effet touché la foule rassemblée pour commémorer la tombe de Qassem Soleimani, le commandant tué lors d’une attaque de drone à Bagdad en 2020 sur ordre de celui qui occupait alors la Maison Blanche, Donald Trump, le même qui a fait sauter l’accord avec Téhéran sur l’énergie nucléaire. Soleimani dirigeait la Force Quds, la branche des opérations étrangères du Corps des Gardiens de la révolution islamique iranien.

…et le Petit Satan

Mais pourquoi Washington aurait-il commis un acte aussi sensationnel à un moment où le président Joe Biden multiplie les efforts diplomatiques pour éviter une escalade au Moyen-Orient, empêchant ainsi la guerre d’Israël contre le Hamas de s’étendre à l’Iran et à ses alliés dans la région ? La seule raison pourrait être d’envoyer un signal à Téhéran dans un contexte de tensions en mer Rouge, où les rebelles Houthis soutenus par le régime iranien attaquent les navires occidentaux et mettent en danger une partie du commerce international. Juste quelques jours avant l’attaque de Kerman, l’Iran avait annoncé l’envoi d’une de ses frégates militaires en mer Rouge, tandis que les États-Unis attaquaient les navires houthis avec des raids.

Malgré cela, même à Téhéran lui-même, il semble difficile que Washington soit allé jusqu’à faire mourir des dizaines de civils sur la tombe de Soleimani. Au contraire, pour le régime iranien, et pas seulement, l’attaque pourrait être une initiative du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour forcer la main aux alliés occidentaux et poursuivre la « destruction » des ennemis à Gaza et dans le reste de la région, en particulier le organisations de ce qu’on appelle « l’Axe de la Résistance » iranienne, du Hamas au Hezbollah.

Le conflit élargi

L’objectif déclaré de Netanyahu et des partis les plus à droite de son gouvernement n’est pas seulement d’arrêter l’offensive post-7 octobre à Gaza, mais de frapper le Hamas et ses partisans partout où ils se trouvent. Cette semaine, la Turquie a arrêté 33 personnes soupçonnées d’être des agents du Mossad qui luttaient contre des membres du Hamas réfugiés dans le pays. Quelques heures plus tard, Israël tuait Saleh al-Arouri, le numéro deux du Hamas qui se trouvait au Liban, protégé par le Hezbollah (une autre organisation financée par l’Iran). Sans oublier l’assassinat en Syrie de Razi Mousavi, général des Gardiens de la révolution, considéré parmi les hommes les plus proches de Soleimani.

Après l’assassinat de Moussavi, Téhéran a annoncé sa vengeance, ce que l’ayatollah Ali Khamenei a réitéré après le massacre de Kerman. Selon les estimations de plusieurs analystes, tant le régime iranien que Netanyahu auraient intérêt à accroître les tensions dans la région, mais pas à conduire à un affrontement direct entre leurs armées. Le Premier ministre israélien, en profonde crise de consensus et en désaccord avec une partie importante de l’armée israélienne, pourrait contourner ces difficultés face à un état de guerre prolongé étendu aux groupes régionaux financés par l’Iran. De son côté, Téhéran doit également faire face à des protestations internes. En outre, le conflit à Gaza a déjà fait échouer un accord de sécurité entre Israël et l’Arabie Saoudite, détesté par l’Iran.

Voici à nouveau ISIS

Il semble presque qu’il existe une convergence parallèle entre Netanyahu et le régime iranien pour maintenir la flamme vive au Moyen-Orient. Et que le massacre de Kerman peut contribuer à cette convergence d’intérêts, quel qu’en soit le véritable auteur. Les experts occidentaux soulignent que les indices pointent vers l’EI ou des factions radicales de l’opposition musulmane sunnite. En 2023, il y a eu deux attaques en Iran par ISIS-K, la faction de l’organisation terroriste active en Afghanistan. Dans les deux cas, les méthodes utilisées ressemblent beaucoup à ce qui s’est passé à Kerman. Et à ces deux occasions, Téhéran n’a pas hésité à pointer immédiatement du doigt l’EI (et aussi les talibans).

Certains experts, comme Meir Livak, professeur à l’université de Tel-Aviv, estiment que les auteurs de l’attaque pourraient être des « éléments salafistes-djihadistes », issus « de minorités baloutches ou kurdes ou similaires, inspirés par l’idéologie de l’Etat islamique ». Au moment de la rédaction de cet article, il n’y a eu aucune communication officielle de la part de l’Etat islamique, même si certains médias iraniens évoquent une éventuelle revendication de l’Etat islamique.