Les élections pour le renouvellement du Parlement européen auront lieu dans six mois, mais la course aux principaux postes de pouvoir au sein des institutions européennes, les soi-disant « postes de haut niveau », a déjà commencé, grâce aux adieux anticipés du Président du Conseil européen Charles Michel. L’homme politique belge a annoncé sa candidature à un siège de député européen, ce qui pourrait révéler à l’avance les cartes des gouvernements et des partis. L’un des noms qui ont émergé, justement pour remplacer Michel, est celui de Mario Draghi. Mais l’ancien gouverneur de la BCE pourrait compliquer les projets de Giorgia Meloni, qui vise un poste prestigieux au sein de la future Commission européenne. Peut-être à confier à l’un de ses ministres : Francesco Lollobrigida ou Raffaele Fitto. Ce qui pourrait à son tour déclencher un remaniement gouvernemental.
L’ombre de Draghi
Mais allons-y dans l’ordre. Juste au lendemain de l’annonce de Michel, le Temps financiers il a retiré l’hypothèse d’une position de leader pour Draghi, hypothèse qui avait déjà circulé ces dernières semaines. Selon des responsables européens et des diplomates interrogés par le journal britannique, l’ancien Premier ministre italien est considéré comme en pole position pour prendre la place de Michel avant même le mois de juillet, date à laquelle l’homme politique belge devra quitter ses fonctions pour siéger très probablement au Parlement européen. Mais il est peu probable que Draghi parvienne à obtenir le soutien de son propre gouvernement. En cause, l’ambition de Giorgia Meloni : la première ministre veut affirmer son poids de consensus (selon les sondages, le FdI devrait être parmi les partis avec le plus de députés dans la prochaine Eurochambre) et les relations personnelles construites en Europe, y compris celle avec le présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Quels sont les meilleurs emplois
Pour mieux comprendre la situation, nous devons examiner la dynamique qui conduit à la nomination des « postes de haut niveau ». Il existe historiquement 5 postes principaux dans les institutions européennes : les présidents de la Commission, du Conseil et du Parlement, le haut représentant pour la politique étrangère et le gouverneur de la Banque centrale européenne. Il y a ceux qui ajoutent également le président de l’Eurogroupe, tandis que la présidence de la BEI, la Banque européenne d’investissement, a récemment assumé un rôle de premier plan.
La BCE, l’Eurogroupe et la BEI sont des jeux déjà joués. Les quatre autres postes clés restent à attribuer, qui, selon la pratique en vogue à Bruxelles, sont décidés en un seul paquet à l’issue de négociations complexes visant à trouver un équilibre entre les exigences des gouvernements nationaux et celles des partis européens.
Le sommet du Parlement
Jusqu’à présent, les trois partis majoritaires au sein de l’UE partageaient pour l’essentiel les positions importantes en Europe : le Parti populaire (PPE), les Socialistes (PSE) et les Libéraux (Renew). La nouveauté des prochaines élections pourrait être l’irruption des conservateurs (Ecr) dirigés par Meloni. Selon les derniers sondages, le trio majoritaire actuel devrait encore pouvoir conserver le contrôle de la Chambre européenne, même avec quelques sièges. Le PPE devrait rester le premier parti européen en termes de voix et de députés, et aurait donc le droit de désigner un de ses membres à la présidence de Strasbourg, ou de céder sa place aux socialistes (deuxième force) en échange d’un compromis sur le autres meilleurs emplois.
Le nom le plus accrédité à l’heure actuelle est celui de Roberta Metsola, l’actuelle présidente et appréciée par beaucoup, même au-delà de son parti, le PPE. La pratique suivie jusqu’à présent a été celle d’un relais entre populaires et socialistes pour cette position, mais dans un passé récent, le socialiste Martin Schulz a enfreint la règle, créant un précédent qui peut profiter aux Maltais.
La Commission
Le nom de Metsola circule également depuis un certain temps en raison de la succession de von der Leyen, son collègue du parti, à la présidence de la Commission. L’Allemande n’a pas encore confirmé ni infirmé son intérêt pour un second mandat. Rares sont ceux qui pensent qu’il souhaite se retirer, mais la course à la reconfirmation est difficile. Pour elle, paradoxalement, les problèmes sont plus internes au PPE qu’extérieurs. En effet, les conservateurs pourraient jouer en sa faveur : beaucoup à Bruxelles affirment que Meloni fait partie des principaux sponsors d’une « Commission Ursula bis ».
Mais Von der Leyen doit aussi convaincre les socialistes et les libéraux, à commencer par les siens : en Allemagne, le Parti populaire, après la longue ère d’Angela Merkel, est dans l’opposition, et le socialiste Olaf Scholz dirige l’exécutif. C’est pourquoi la chancelière ne peut pas entraver les tentatives du centre-gauche de viser la tête de la Commission : on parle par exemple de la Première ministre danoise Mette Frederiksen, mais aussi du Luxembourgeois Nicolas Schmit (actuel commissaire à l’Emploi), de l’ancien Le Premier ministre portugais Antonio Costa ou la ministre espagnole Teresa Ribeira.
Même les libéraux, comme troisième roue, pourraient tenter d’exploiter un éventuel bras de fer entre le PPE et le PSE pour placer l’un de leurs hommes (ou une de leurs femmes) à la présidence de la Commission. Il y a l’actuelle vice-présidente de l’exécutif européen, la Danoise Margrethe Vestager, mais aussi la Française Therry Breton (qui souffre cependant de la baisse de consensus de son principal sponsor, le chef de l’Elysée Emmanuel Macron, en plus du fait que la France a déjà la gouverneure de la BCE, Christine Lagarde).
Conseil
La présidence de la Commission est normalement choisie parallèlement à celle du Conseil. Le départ anticipé de Michel pourrait changer la donne. Pour le Conseil, on parle depuis un certain temps de la nécessité d’avoir un nom qui pèse dans le paysage politique européen (et parmi les principales exigences figure d’avoir été chef d’État ou de gouvernement des 27). Il y a un an, certains évoquaient l’hypothèse d’Angela Merkel, suivie plus récemment par Draghi. Cependant, les deux semblent hors course. A Bruxelles, nombreux sont ceux qui considèrent le (presque) ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte (qui fait partie des libéraux) comme le candidat idéal à ce poste.
C’est l’Italie ?
La Première ministre Meloni, lors de sa conférence de presse de fin d’année, a clairement déclaré qu’elle souhaitait viser un poste clé au sein de la Commission. Le poste le plus élevé, à l’exclusion de celui de président, est celui de haut représentant de la politique étrangère, une figure à mi-chemin entre la Commission et le Conseil que l’Italie a déjà occupée entre 2014 et 2019, avec Federica Mogherini.
Après avoir laissé de côté le commissaire à l’Économie, poste actuellement occupé par l’ancien Premier ministre Paolo Gentiloni et donc soumis à une éventuelle rotation vers d’autres rives, Meloni pourrait viser les sièges de la Concurrence (compte tenu des dossiers brûlants comme ITA et MPS) ou celui de Marché intérieur, ou encore énergie. L’un des candidats éligibles au poste de commissaire est certainement Raffaele Fitto, déjà trois fois député européen et « envoyé spécial » de Meloni pour l’Europe. Il y a ensuite le portefeuille de l’Agriculture sur lequel le premier ministre pourrait jouer la carte du ministre Francesco Lollobrigida.
Toutefois, les ambitions de Meloni pourraient être revues à la baisse si l’Italie obtenait un meilleurs emplois: dans ce cas, le Premier ministre aurait moins de marge de manœuvre dans le choix du commissaire et dans les négociations pour le portefeuille. C’est également pour cette raison que si l’hypothèse de Draghi était concrète, Meloni ne la soutiendrait guère.