« Vous ne pouvez pas être un vrai pays sans bière et sans compagnie aérienne », a déclaré Frank Zappa. La Belgique dispose de quantités record de bières pour ses 11,5 millions d’habitants. Et elle dispose également d’une compagnie aérienne nationale (même si elle se situe dans l’orbite de la Lufthansa allemande). Mais malgré cela, dans un certain temps, il se peut qu’il n’existe plus en tant que pays. C’est du moins ce qui semble ressortir des intentions de vote de ses citoyens en vue de la double date électorale de juin, où les Belges seront appelés à renouveler les parlements nationaux et régionaux, ainsi qu’à choisir leurs représentants à la Chambre européenne. .
Selon les derniers sondages, un électeur sur quatre donnerait aujourd’hui sa préférence au Vlaams Belang, le parti d’extrême droite allié de la Ligue en Europe. La formation dirigée par Tom Van Grieken a pour mission l’indépendance de la Flandre riche de la Wallonie « pauvre », considérée comme une sorte de sangsue où les gens ne veulent pas travailler et vivre grâce aux subventions versées par les contribuables flamands.
Le mois dernier, Van Grieken a annoncé que s’il remportait les élections nationales, son parti appellerait officiellement à des négociations sur l’indépendance. La première étape serait une déclaration de souveraineté au Parlement flamand, suivie de cinq années de négociations de séparation et, enfin, d’une véritable déclaration d’indépendance. Le modèle de Van Grieken serait la dissolution de l’ex-Tchécoslovaquie, ce « divorce de velours » qui a conduit en 1993 à la naissance de la République tchèque et de la Slovaquie.
Jusqu’à présent, la propagande. Mais le Vlaams belang parviendra-t-il vraiment à séparer la Flandre de la Belgique ? Les sondages, comme nous le disions, placent le parti en tête au niveau national, également grâce au fait qu’il y a 6,6 millions de Flamands, contre 3,6 millions de Wallons. Par ailleurs, en deuxième position, avec 21%, se trouve la N-Va, un autre parti qui ne dédaigne pas le rêve d’indépendance, même si au fil des années il a atténué son ton vers des positions plus autonomistes que séparatistes.
Près d’un Belge sur deux soutient donc des partis qui arborent fièrement le drapeau flamand. Mais cela ne suffit pas forcément pour transformer ce drapeau de régional en national. Tout d’abord, malgré de bons résultats dans les sondages, les durs et les purs du Vlaams belang souffrent du « cordon sanitaire » que presque tous les partis belges, même les autonomistes de la N-Va, ont placé autour d’eux : comme c’est arrivé à leur Alliés néerlandais Geert Wilders, les séparatistes de Van Grieken pourraient remporter les élections, mais ils ne seraient pas en mesure d’imposer leurs conditions au reste du paysage politique, même en Flandre. La N-Va a récemment réitéré qu’elle « ne gouvernerait jamais » avec le Vlaams belang.
Il y a ensuite la question de Bruxelles : la ville a un poids spécifique important dans l’équilibre des pouvoirs en Belgique : un dixième de la population y réside, en plus d’être la capitale de l’Union européenne et le siège de l’OTAN. La langue la plus parlée est le français et, malgré les tentatives de la Flandre d’accroître la présence du flamand, les positions indépendantistes du Vlaams belang ne remportent que 4 % des électeurs. Au contraire, les partis wallons tiennent fermement les rênes du pouvoir municipal.
L’indépendance sans Bruxelles serait un revers pour les séparatistes, qui considèrent comme un vol le fait que l’ancienne capitale flamande ait été francisée avec la naissance de l’Etat belge. Les séparatistes oublient aussi qu’à l’époque la Wallonie était la partie riche du pays naissant et que grâce à ses mines et industries, ainsi que ses universités, elle a soutenu la Flandre pendant des décennies. De plus, l’union entre Flamands et Wallons s’est faite essentiellement d’un commun accord : les premiers ne supportaient plus d’être des citoyens de seconde zone dans le Royaume des Pays-Bas et rêvaient d’un avenir plus glorieux pour leurs ports, d’Anvers à Bruges, et pour son économie en général. Ils ont réussi : la Flandre représente aujourd’hui environ 60 % du PIB total de la Belgique.