La distance sociale et la distance physique ne sont pas la même chose

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

L’un des termes qui nous rappellera sans doute l’expérience de pandémie est-ce celui de « distanciation sociale ». En effet, les épidémiologistes et les journalistes nous répétaient chaque jour qu’en restant à distance de sécurité les uns des autres, nous éviterions ou réduirions la contamination par le virus. En réalité, il n’est pas tout à fait correct de parler de distanciation sociale et même l’OMS affirme qu’il est temps d’abandonner cette expression couramment utilisée et de la remplacer par « distanciation physique ». Voyons pourquoi et ce qui différencie ces deux concepts.

L’espace est-il toujours physique ?

Le concept de distanciation sociale a toujours suscité un grand intérêt pour Sciences sociales et, contre-intuitivement, il ne fait presque jamais référence à l’emplacement physique des personnes.

Par distance sociale en sociologie, nous entendons la mesure de l’intimité ou de la confiance qu’un individu ou un groupe ressent envers un autre individu ou groupe, ou le degré de similitude perçue. Selon la manière dont nous décidons de l’étudier, ce concept nous renvoie à différentes sphères de nos actions :

  • à la sphère affectif: selon cette approche, on peut étudier et mesurer la distance sociale en fonction du degré ou du peu de compassion que les membres d’un groupe ressentent envers leurs propres membres ou envers un autre groupe. L’un des leaders de cette approche fut Bogardus, qui construisit une échelle spécifique de mesure du phénomène (même si elle est aujourd’hui peu prise en compte car trop simple et non exhaustive)
  • à la sphère législation: ici, l’étude de la distance sociale interroge les normes communément admises et exprimées sans ambiguïté par un groupe sur qui doit être considéré comme étranger (et/ou différent) et qui ne doit pas l’être.
  • à la sphère interactif: Ici, l’étude de la distance sociale est basée sur la manière dont les groupes sociaux interagissent les uns avec les autres. Ce n’est pas un hasard si on l’appelle la « théorie des réseaux » (plus les membres de deux groupes interagissent, plus ils sont socialement proches). La force des liens sociaux vient de la fréquence des interactions entre deux groupes.
  • à la sphère culturel: dans cette dernière approche, la notion de distance se concentre sur la différence de capital social que possèdent les personnes (en simplifiant, le bagage culturel différent que possèdent les familles et qu’elles transmettent à leurs enfants en héritage). Comme vous pouvez l’imaginer, cette approche est étroitement liée à l’étude des inégalités.
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Ainsi, pour les sciences sociales, l’espace n’a pas seulement une signification physique, mais aussi et surtout sociale : ses formes et ses significations découlent des pratiques sociales, matérielles ou symboliques de ceux qui y vivent. Et surtout, cela n’a pas grand-chose à voir avec la localisation des individus.

L’ambiguïté du concept de « distance »

L’ambiguïté du terme a probablement été accrue par son utilisation simpliste par les journaux, les institutions et les épidémiologistes.

Il faisait probablement à l’origine référence non seulement au maintien d’une distance physique de sécurité entre les personnes, mais à la multitude de mesures mises en œuvre par les gouvernements pour limiter la contagion (par exemple l’interdiction des rassemblements et de toutes les activités qui impliquent une proximité physique et sociale).

La proximité sociale au service de la distanciation physique

Paradoxalement, lorsqu’une société se trouve confrontée à un problème de santé publique, l’incitation au renforcement des liens sociaux peut s’avérer d’une grande aide, notamment lorsqu’on demande aux individus de maintenir une distance physique.

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L’usage abusif du concept de distance sociale a créé un oxymore avec le slogan « unis nous y arriverons » : déconnecter le concept de « socialité » d’un sens négatif signifie alors pouvoir travailler sur la proximité, sur le soin de soi et des autres. , sur la solidarité sociale, sur le réseautage.

Surtout dans les moments de grands efforts pour atteindre la « distance physique », la proximité sociale s’avère être un grand allié.