Ce qui change pour les journaux et les journalistes avec les nouvelles règles

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

Plus de transparence de la part des journaux, plus de protection des journalistes. Telles sont, en résumé, les deux pierres angulaires de la réforme sectorielle proposée par Bruxelles pour sauvegarder l’indépendance de la rédaction et promouvoir le pluralisme dans le paysage médiatique des Vingt-Sept.

Les négociateurs du Parlement européen et du Conseil sont parvenus à un accord sur le texte de la loi européenne sur la liberté des médias (Emfa), vendredi 15 décembre dernier, posant les bases de son adoption définitive par les deux institutions dans les mois à venir. La directive, approuvée par la Commission en septembre 2022, a pour principaux objectifs la lutte contre la concentration des médias, d’une part, et la suppression des obstacles à une pleine indépendance éditoriale, d’autre part.

Transparence et indépendance

Quant au premier point, les journaux devront fournir de manière transparente des détails sur leur propriété (directe et indirecte, y compris l’État) et le financement qu’ils reçoivent (surtout public, y compris ceux des pays tiers), en insérant ces données dans une base de données nationale. Un certain degré de contrôle sera également nécessaire, y compris au niveau européen, sur les fusions entre journaux afin d’éviter des concentrations potentiellement monopolistiques dans le secteur des médias, clairement néfastes à la santé de la démocratie et de la liberté d’information.

D’un autre côté, les États membres devront garantir la pleine liberté éditoriale des médias (notamment des médias publics) et mettre en œuvre les règles anti-slapp de l’UE. Cette formule, qui est l’acronyme anglais de « strategic lawsuit against public participation », désigne des actions en justice contre ceux qui travaillent dans l’intérêt public, à des fins purement d’intimidation. Dans notre pays, on les appelle des « plaintes imprudentes », et dans la plupart des cas il s’agit d’accusations de diffamation portées contre des journalistes par une accusation qui veut affirmer la nette disproportion du pouvoir économique par rapport à l’accusé, en entraînant ce dernier dans des procédures judiciaires coûteuses auprès du objectif de décourager le journalisme d’investigation.

Le cas italien est particulièrement paradigmatique en ce sens, le gouvernement Meloni allant à contre-courant de la tendance de l’Emfa et mettant sur la table du Sénat un projet de loi qui pourrait potentiellement faciliter la tâche à ceux qui disposent des moyens nécessaires pour intimider les journalistes dans leur travail d’enquête (notamment indépendants, qui ne peuvent pas compter sur une protection efficace de la part de la rédaction), et que l’Association des journalistes a qualifié de « bombe à retardement ».

Fini l’espionnage des journalistes

La dernière question qui a bloqué les négociations concernait les règles qui réglementent la manière dont les gouvernements peuvent « surveiller » les journalistes utilisant des logiciels espions (c’est-à-dire des logiciels espions, comme le tristement célèbre Pegasus) et d’autres méthodes controversées dans le but d’identifier et d’identifier leurs sources, même obligeant les journalistes à les révéler directement. En substance, ces pratiques seront désormais interdites par l’Emfa au sein de l’Union, à quelques exceptions près.

Ces exceptions ont été initialement proposées par la Commission uniquement pour les enquêtes sur certains crimes spécifiques tels que le terrorisme et la traite des êtres humains, mais les chancelleries européennes (Paris en tête) ont poussé à élargir la portée des exemptions au nom de la sécurité nationale. Ainsi, les évaluations seront conduites au cas par cas par l’autorité judiciaire, mais la règle générale verra une interdiction pour les journalistes et rédactions de révéler leurs sources. La surveillance des journalistes (et de leurs appareils) devra également être approuvée par un tribunal et les personnes surveillées devront être dûment informées.

En fait, les Vingt-Sept se sont montrés plutôt réticents à approuver cette directive (qui, en tant que telle, impose à chaque pays membre de décliner de manière indépendante les lignes générales européennes), car ils craignaient qu’elle restreigne leur pouvoir de contrôle dans le domaine des médias, une prérogative cher au pouvoir exécutif même dans des contextes démocratiques.

La directive européenne en question représente en partie une réaction aux incidents violents impliquant des journalistes européens ces derniers temps, allant bien au-delà de l’intimidation économique. Surtout, l’assassinat de la Maltaise Daphne Caruana Galizia, victime d’un attentat à la voiture piégée en octobre 2017 alors qu’elle menait une enquête sur des affaires de corruption à La Valette, a eu un fort retentissement.

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