Si Alain Delon était homophobe, n’était-il pas un grand acteur ?
Nous savons désormais que, lorsqu’un événement attire l’attention des médias, s’il y a la possibilité de choisir entre parler de ses aspects pertinents et débattre sur des choses stupides, nous choisirons toujours cette dernière solution. Ainsi, à la mort du titanesque acteur Alain Delon, plusieurs magazines en ligne et utilisateurs individuels, dont beaucoup appartiennent à la communauté LGBT, au lieu de se remémorer la carrière de l’acteur – ou tout au plus de simplement garder le silence – ont choisi d’utiliser l’excuse de sa mort pour ressusciter ses déclarations passées sur l’homosexualité, rappelant à tous qu’il était en réalité homophobe ; ou commenter cette perte en mettant en jeu la masculinité toxique dont l’acteur aurait été un symbole. Gay.it le salue comme un « beau mâle toxique qui disait que les gays sont contre nature » ; Radiopride rapporte les propos de l’activiste Luca Paladini, fondateur des « Sentinelli di Milano », qui l’a défini comme « tout simplement ignorant ».
Il va sans dire que si un acteur était homophobe (phrase peu attrayante que nous prononçons sur la base de 10 mots qu’il a prononcés un jour à la télévision), sa contribution artistique perd automatiquement toute sa valeur : il n’est plus un artiste, mais quelqu’un qui a dit la mauvaise chose. Et c’était certainement faux, c’est évident ; ce que cela a à voir avec le rôle qu’il a joué dans le monde de l’art – c’est pourquoi nous nous en souvenons – est moins compréhensible.
Une histoire déjà vue d’ignorance historique et culturelle
C’est un peu la vieille histoire de la démolition des statues de Christophe Colomb : il devrait être évident que ce qui est célébré n’est pas l’homme, mais l’exploit qu’il a accompli, et qui reste grand et mémorable malgré toutes les atrocités commises. Sauf qu’au moins Colomb avait l’excuse de la période historique, alors que Delon vivait au présent, donc c’est impardonnable : il a mal pensé, tout simplement. Mais pourquoi sa façon de penser devrait-elle avoir une quelconque pertinence ? C’était un acteur, pas un homme politique ou un philosophe.
Je ne pose pas seulement une question rhétorique : nous devons nous demander pourquoi nous avons besoin de connaître les positions politiques de personnes célèbres et d’accorder de l’importance à ce qu’elles disent. S’ils disent la bonne chose, ce sont des gens formidables qui utilisent leur visibilité pour parler des problèmes des gens, et c’est pourquoi nous les aimons ; s’ils disent des choses erronées, nous les insultons, rappelant à tout le monde qu’ils ne sont personne pour nous dire quoi penser. En réalité, on ne devrait pas vraiment se soucier de ce qu’un acteur pense de l’homosexualité, pour le meilleur ou pour le pire.
Mais cela répond à une logique sectaire
Mais dès que nous prenons malheureusement connaissance de ses opinions, nous sommes obligés de prendre position. L’obsession identitaire qui domine beaucoup d’entre nous nous amène à devoir adapter chaque aspect de notre vie au groupe auquel nous appartenons ; en bref, ce que nous sommes et ce dans quoi nous nous reconnaissons déterminent également les choses que nous pouvons aimer et apprécier. Alors si je suis homosexuel, je dois détester Alain Delon : je ne peux pas simplement le considérer pour l’acteur qu’il était et apprécier ses qualités, car ce serait me renier moi-même et le groupe dont je fais partie.
Il est vrai qu’un problème sérieux qui sous-tend ce raisonnement est l’incapacité de comprendre la valeur historique ou artistique de quelque chose sans nécessairement devoir la partager sous tous les autres aspects ou sans devoir lui attribuer une valeur didactique ; mais plus encore, je trouve terrifiant ce sectarisme selon lequel si vous êtes avec nous il faut penser comme nous, il faut être une certaine chose, et on en devient obsédé au point d’en parler même là où ça n’a rien à voir, comme dans le cas d’un grand acteur qui avait des idées merdiques.
N’oublions pas un autre aspect déprimant, celui de devoir exploiter la déclaration controversée, le mot offensant, l’élément qui fait scandale, pour maintenir lefiançailles avec un titre impressionnant. Bref, l’important est que, même face à un événement qui devrait mettre tout le monde d’accord – un grand acteur mort, une perte pour le monde de l’art, un souvenir des grandes interprétations qu’il nous a laissées – nous trouvons le moyen de argumenter.