Avec « Oh, Canada », Richard Gere laisse sa marque
Paul Schrader revient au cinéma avec le film Oh, Canada, tourné en seulement 17 jours et prévu pour le 16 janvier 2025, après avoir mis fin il y a deux ans à Venise avec Le Maître jardinier à sa belle trilogie sur les accidents. Basé sur le roman du même nom de Russell Banks, décédé en janvier dernier, le film se présente comme un voyage dans le concept de vérité dans un sens personnel et universel. Cela devient aussi une analyse sur la relation entre l’artiste et l’œuvre, la vie et l’art cinématographique, sur combien la caméra peut donner la certitude, ou l’illusion, d’une vérité proche, ne révélant qu’une partie de notre âme.
Oh, Canada – l’intrigue
Pour Leo Fife (Richard Gere aujourd’hui, Jacob Elordi autrefois), l’un des réalisateurs de documentaires les plus célèbres et appréciés de tous les temps, la vie touche désormais à sa fin. Le cancer l’emporte, faisant de lui le fantôme de l’homme qu’il était et c’est pourquoi il a accepté l’offre de ses anciens élèves Malcolm (Michale Imperioli) et Diana (Victoria HIll). Ils veulent enregistrer sa dernière confession, lui donner la possibilité de rédiger un testament personnel, de dire toute la vérité et rien d’autre sur sa vie et son œuvre.
L’épouse de Leo, Emma (Uma Thurman) doute du résultat de l’opération, mais Leo est catégorique, aussi parce qu’il sait qu’il n’a pas tout raconté sur son passé, celui d’un ex-petit ami confus de province du défunt ‘ 60 ans, qui a fui au Canada pour échapper à la conscription du Vietnam. Il y devient un réalisateur culte, mais était-il vraiment ce grand homme ? Léo, tout en luttant contre la tumeur qui le tue désormais, tente de dominer son esprit qui semble vacillant, dans lequel se confondent passé, présent, vérité et fantasme.
Mais alors comment faire ? Comment comprendre si ce qu’il dit est véritablement une liste de secrets indicibles ou le fantasme malsain d’un homme aujourd’hui perdu ? Oh, le Canada, c’est le grand retour de Paul Schrader, l’un des grands protagonistes de l’ère du nouvel Hollywood, l’un des réalisateurs les plus influents de sa génération.
Réalisateur et personnage mal à l’aise, colérique, avec un personnage difficile comme ce protagoniste, qui des pages du regretté Russell Banks, glisse sous nos yeux avec une double interprétation, qui porte la signature non seulement de Richard Gere, mais aussi d’un Jacbo Elordi, ce qui, à première vue, semble un choix absurde d’un point de vue réaliste. Les deux acteurs ont 20 cm de différence de taille et aucune ressemblance physique, mais ce casting est en réalité incroyablement spirituel, audacieux, de par la volonté qu’a Schrader de faire valoir un point, de souligner une différence, de rehausser le ton à mi-chemin entre la réalité et autoprojection, de ce qu’était la vie pour Leo.
C’est aussi pour cette raison que Oh, Canada devient une épiphanie, un monument de la narration anticlimatique, avec une structure narrative aussi irrégulière que séduisante.
Un voyage syncopé dans une vie faite de regrets et de demi-vérités
Oh, le Canada compte non seulement sur la mise en scène sublime de Schrader, mais surtout sur l’alchimie entre les protagonistes. Ici, les performances sont du plus haut niveau, mais c’est surtout Richard Gere qui domine chaque scène. Leo est l’un de ses meilleurs personnages. Fier, blessé, plein de honte et de colère, il est aussi sans filtre, il est honnête ou du moins semble-t-il, car Oh, le Canada joue aussi beaucoup avec notre perception, tout comme avec les images, avec la photographie d’Andrew Wonder.
Schrader revient au cinéma, avec son 16 mm bien-aimé, il utilise souvent le noir et le blanc, puis voici différentes nuances de couleur, il aide le film à avoir un air vintage, indie, mais sans excès ni manières, mais avec une cohérence de vouloir parlez-nous (ou du moins faites-nous croire qu’il parle) de la vérité. Les couleurs en revanche concernent l’indicible, ou peut-être l’inventé qui sait. La vérité, Oh, Canada, semble nous dire, est toujours un point de vue, mais il n’est même pas dit que c’est peut-être là le centre de l’histoire de Leo, qui, à même pas trente ans, avait déjà laissé derrière lui deux femmes, avait fui un pays et une guerre. Autour de lui, Paul Schrader dresse un portrait cru, mais pas trop sévère, de la génération Beat, de sa génération, celle qui pensait changer le monde mais qui, au contraire, les a changés.
Uma Thurman est douloureuse et très douce dans le rôle de cette épouse, qui se rend compte que, peut-être, au fond, elle n’a jamais vraiment connu ce mari, pas autant qu’elle le pensait ; mais le reste du casting est également parfait pour dessiner ce qui est aussi un arc historique de transformation d’un pays, d’une société et de la conception de l’artiste. Il le fait dans cette Amérique qui, depuis le début des années 1960, erre enfin dans ce XXIe siècle sans savoir qui il est. Il y a aussi une analyse du cinéma lui-même en tant que médium, du documentaire en particulier. Cette caméra n’est qu’un moyen, l’intention est ce qui fait la différence.
Nous avons toujours devant nous la voix et l’esprit du Lion, jeune et plein de doutes et de peurs, vieux et plein de certitudes, une âme en souffrance dans la recherche éternelle de quelque chose d’inachevé et d’incroyable, un corps angoissant soutenu par un esprit qui s’accroche à sa parole, à sa volonté. Un personnage souvent détestable, égoïste, narcissique, mais en même temps aussi incroyablement cohérent, symbole d’un désir de rédemption définitive, qui n’a pourtant rien de religieux. Il y a quelques petits problèmes dans le scénario, on voit que le film a eu une genèse très particulière, mais le résultat reste robuste, il laisse une trace, comme chaque œuvre de Paul Schrader, le dernier de sa race.
Note : 7,5