Que se passe-t-il en France actuellement ?

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

Au lendemain de la surprise des élections législatives anticipées en France, nous commençons à faire face à la nouvelle réalité politique au-delà des Alpes. Ce qui offre la recette parfaite pour un parlement ingouvernable. L’alliance de la gauche est arrivée la première, mais elle ne pourra pas gouverner seule. Les centristes sont repartis meurtris mais ont tenu bon, et leurs voix seront nécessaires pour gouverner. L’extrême droite s’est développée mais sa montée au pouvoir a été bloquée. Que se passe-t-il maintenant ?

Les résultats des sondages

La soirée électorale à Paris a été pleine de surprises. A partir de la victoire de Nouveau front populaire (Nfp), la liste unie de gauche qui a obtenu la majorité relativeAssemblées remportant 182 sièges sur un total de 577. En passant par la tenue inattendue du centre par Emmanuel Macron, dont la coalition Ensemble pour l’Europe (qui soutient l’exécutif du Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal) est passé de 249 actuellement à 168 mais n’a pas subi l’effondrement annoncé par les sondages.

Le front républicain érigé en anti-Rassemblement nationalLa stratégie du « grand retrait » a donc porté ses fruits. Et de fait la troisième surprise, c’est que le RN de Marine Le Pen et de son protégé Jordan Bardella (avec ses alliés) s’est retrouvé coincé avec 143 députés. Qui sont insuffisants pour gouverner, mais représentent tout de même le meilleur résultat jamais enregistré pour le parti de l’ultra droite nationaliste et xénophobe, héritier des collaborateurs de Vichy.

Qui gouvernera la France ?

Ce résultat donne aux Français un Parlement balkanisé, encore plus divisé que le précédent, avec trois blocs principaux très différents qui n’ont pas les effectifs nécessaires pour diriger à eux seuls un exécutif. C’est alors que s’ouvre le puzzle du gouvernement qui occupera l’Elysée dans les semaines à venir. La pratique, qui ne constitue cependant pas une obligation constitutionnelle, est celle par laquelle le président nomme le chef du parti (ou de la coalition) vainqueur des élections pour former un exécutif.

Macron prendra le temps nécessaire pour évaluer les scénarios qui s’ouvrent désormais dans un Parlement divisé, qui acquiert ainsi une centralité sans précédent dans la Ve République. Plutôt que la volonté des différents partis de soutenir un éventuel exécutif avec une confiance explicite, c’est à lui de vérifier la volonté implicite de ne pas s’en méfier. La différence peut paraître subtile mais elle est substantielle. Et s’y grefferont les négociations compliquées entre forces parlementaires pour donner à la France un gouvernement au plus vite, à l’approche des Jeux olympiques et d’un budget à approuver à l’automne après que Bruxelles a ouvert une procédure d’infraction contre Paris pour déficit excessif.

Les options de l’Elysée

Techniquement, il existe au moins trois scénarios alternatifs, tous dont la viabilité politique est incertaine. En plus du gouvernement de coalition (dont nous parlerons dans un instant), il existe l’option d’un gouvernement minoritaire. C’est-à-dire un exécutif gouverné par un parti (ou plusieurs partis) sans majorité absolue des sièges et qui doit négocier des appuis sur des dossiers individuels avec les autres forces de l’hémicycle. Macron l’a fait lors de la législature sortante (à la fois avec la Première ministre Élisabeth Borne et avec son successeur Gabriel Attal), survivant à plusieurs motions de censure de l’opposition.

Jacques Chirac l’a également fait en 1997, en nommant Lionel Jospin Premier ministre. Dans ce cas, outre un gouvernement minoritaire, il y avait aussi une cohabitation, c’est-à-dire la coprésence d’un chef d’État et d’un premiers ministres appartenant à différents partis politiques (Chirac conservateur, Jospin socialiste). Cela ne s’est produit que trois fois sous la Ve République, et c’est une situation qui garantit l’instabilité. En Europe ces dynamiques sont amplifiées : le locataire de l’Elysée siège au Conseil européen, mais la France est représentée au Conseil par des ministres du gouvernement. Même si cela est peu probable, il existe théoriquement la possibilité que Macron nomme Jean-Luc Mélenchon Premier ministre, le leader mouvementiste de la gauche radicale qui a déjà revendiqué ce poste, justement pour lui compliquer la vie et écraser chacun de ses membres. chances aspirer à l’Elysée en 2027.

Il existe enfin l’option d’un gouvernement technique « à l’italienne » : soutenu par des forces parlementaires se reconnaissant dans un programme de coalition, exempt de points trop polémiques et dirigé par une personnalité apolitique (un nom qui circule est celle de Christine Lagarde, gouverneure de la BCE, mais on ne sait pas vraiment quelle est sa crédibilité). Ce serait quelque chose de nouveau pour la France, habituée à une vie politique plutôt polarisée. Mais cela pourrait aussi être une manière de conduire le pays vers de nouvelles élections, qui ne pourront avoir lieu avant un an.

Alchimie politique

Maintenant, les chiffresAssemblées suggèrent que la seule option possible pour un gouvernement politique est une coalition entre les centristes de Ensemble et les progressistes du NFP (350 sièges, avec une majorité fixée à 289). Mais le chemin est tout en montée. Le devant de gauche est divisé intérieurement, avec La France insoumise (74 élus) de Mélenchon qui ne voit pas les libéraux macroniens, par qui elle est également méprisée. Le succès de Lfi est dû précisément à l’opposition à la politique du président, qui considère à son tour Mélenchon et ses acolytes comme des extrémistes presque aussi irresponsables que les lépénistes, du moins en termes d’agenda économique.

Plus probable, du moins sur le papier, une majorité centriste sur le modèle de la Chambre européenne de Strasbourg : une « grande coalition » allant des socialistes de Raphaël Glucksmann à l’aile plus modérée du parti. Républicains, les conservateurs néo-gaullistes qui ont répudié le leadership d’Éric Ciotti (coupable de s’être allié au Rn). Et qui dépend, bien entendu, des libéraux de Ensemble. Un « grand bloc centriste, républicain et progressiste, sans LFI et RN », comme le souhaite l’ancienne présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet, membre du parti de Macron, Renaissance. Dans ce cas, le Premier ministre devrait être issu du NFP, comme le prétendent non seulement Mélenchon mais aussi les socialistes, selon lesquels les progressistes devront s’entendre sur un nom d’ici une semaine.

Mais pour concrétiser cette hypothèse, il faudra beaucoup de travail pour aplanir les divergences politiques et les antipathies personnelles, qui sont également apparues au cours de la courte (mais très houleuse) campagne électorale. Le terrain à surveiller est sans doute celui de gauche, où il y a beaucoup de mouvement et de nouveaux rebondissements pourraient survenir. Sans exclure la possibilité que, comme ce fut le cas pour le Nupes (l’alliance progressiste créée pour les élections de 2022, qui a implosé peu de temps après), le NFP puisse se désintégrer en raison d’incompatibilités entre les sujets qui composaient le cartel électoral anti-RN.

Mélenchon est une personnalité encombrante et controversée pour ses propres alliés, à commencer par les socialistes (PS) qui ressuscitent et obtiennent la deuxième délégation de l’alliance avec 59 députés. En contrepoids au leader de LFI, Glucksmann s’est montré plus conciliant et a déclaré que « face à unAssemblée nationale uniforme, nous devons nous comporter comme des adultes. Il faut parler, il faut discuter, il faut dialoguer ». Par ailleurs, au sein même de LFI, il y a déjà plusieurs malpancismes, avec la patrouille des Menchoniens qui pourrait subir l’hémorragie de plusieurs parlementaires dissidents.