L’UE sanctionne pour la première fois le gaz russe : ce qui change pour Poutine

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

Pour la première fois, l’Union européenne a également décidé de cibler par ses sanctions la principale source de revenus de la Russie, le gaz. Le quatorzième paquet de mesures anti-Kremlin approuvé par 27 États membres, dont la Hongrie, comprend l’interdiction pour les navires russes de réexporter du gaz naturel liquéfié (GNL) depuis les ports européens vers d’autres destinations, principalement l’Asie. Selon les calculs de l’ONG belge Bond Beter Leefmilieucette mesure touchera une source de revenus pour Moscou qui entre 2022 et 2023 a atteint environ 3,4 milliards d’euros.

Pour mieux comprendre le fonctionnement de la sanction, il faut partir de la péninsule de Jamal, dans l’ouest de la Russie sibérienne : voici le champ géant d’hydrocarbures Yamal LNG, qui a produit en 2023 environ 27,6 milliards de mètres cubes de GNL. La majorité de ce gaz (16,2 milliards) est importée des pays de l’UE, un flux qui n’a pas été sanctionné. Le reste est destiné aux marchés d’Asie de l’Est, dont la Chine.

Mais pour se rendre en Asie, les navires russes disposent de deux routes : l’une directe par le passage du Nord-Est, c’est-à-dire par l’océan Arctique, l’autre qui passe par les ports de l’Europe du Nord, où se fait ce qu’on appelle la réexportation vers l’Asie. La route européenne, bien que plus longue, est la préférée en hiver, étant donné que la traversée de l’Arctique en cette saison implique des coûts supplémentaires considérables en raison de la glace et de la nécessité de recourir à des navires spéciaux pour dégager le passage (en passant par l’UE, des brise-glaces charger du GNL sur des navires plus petits). Jusqu’à présent, la Russie a réparti ses flux de manière égale entre les deux routes. Mais désormais, avec les nouvelles sanctions lancées par l’UE, elle ne devra compter que sur la route arctique.

La mesure, il faut le dire, n’affectera pas l’ensemble du commerce du gaz entre Moscou et les pays européens : les gazoducs continuent de pomper l’or bleu vers l’Autriche et la Hongrie, tandis que l’arrêt des réexportations ne devrait pas trop affecter les importations de GNL. dans l’UE, qui a généré en 2023 des revenus pour Moscou d’environ 8 milliards d’euros.

Cette mesure constitue cependant un nouveau coup dur pour l’économie russe, qui commence à montrer des signes dus aux sanctions occidentales et à la poursuite de la guerre. La Banque centrale de Moscou a de plus en plus de mal à contenir l’inflation, malgré la hausse continue des taux d’intérêt. Confrontées à une grave pénurie de main-d’œuvre, les entreprises russes rivalisent pour recruter des travailleurs en augmentant les salaires. Mais cela ne suffit pas à combler les lacunes en matière de main-d’œuvre. L’économie de guerre et la fermeture des relations avec l’Occident ralentissent également le développement technologique, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur la croissance du pays à l’avenir.

Dans ce contexte, il ne faut pas sous-estimer les autres sanctions introduites par l’UE dans le nouveau paquet : l’obligation pour les entreprises européennes de tracer les marchandises qu’elles commercialisent à l’étranger est renforcée, pour éviter qu’elles n’aboutissent en Russie par des intermédiaires de pays tiers. En outre, des restrictions ont été introduites à l’encontre des institutions financières de pays tiers qui favorisent ce type d’intermédiation. Il s’agit de mesures visant à empêcher l’arrivée à Moscou de technologies fondamentales pour l’industrie civile, mais aussi pour l’industrie de guerre, comme les microprocesseurs.