La « majorité liquide » de von der Leyen risque de mettre l’UE dans un bourbier

Alexis Tremblay
Alexis Tremblay

Il y a eu d’abord l’amendement sur la construction de murs frontaliers, puis la loi budgétaire et enfin le prix Sakharov décerné à l’opposition au Venezuela. La triade de votes lors de la dernière plénière du Parlement européen a clairement montré qu’il n’existe pas de majorité stable au sein du gouvernement de l’Union européenne. Ou plutôt : il y en a deux. Et le Parti populaire européen (PPE) le modifie si nécessaire. Dans les trois cas en question, le Parti populaire a voté de la même manière que les groupes d’extrême droite, qui auraient été exclus du gouvernement européen à la suite des dernières élections européennes.

Officiellement, la Commission dirigée par Ursula von der Leyen a été confirmée pour un deuxième mandat par une majorité composée de populaires, socialistes et libéraux. Les Verts sont cependant restés dans la salle d’attente, espérant achever les travaux sur le Green Deal. Le mur pro-européen, qui gouvernait l’Europe depuis des années et excluait l’extrême droite, s’effondre en fait depuis un certain temps, mais les signes de ce mandat sont plus évidents. Les contradictions et les dangers de ce choix aussi, non seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur le plan pratique.

L’alliance du Parti populaire avec des groupes d’extrême droite

La collaboration du Parti populaire avec les réformistes et les conservateurs de Giorgia Meloni, déjà expérimentée à la fin de la dernière législature, s’est élargie. Le PPE vote même comme les Patriotes pour l’Europe de Viktor Orban, qui reste sur le papier un ennemi déclaré, mais devient en réalité un allié précieux. Et il vote aussi comme le groupe « Europe des nations souveraines », des « parias » de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), accusés d’avoir des néo-nazis dans leurs rangs.

Le cordon sanitaire a été déchiré, mais les conséquences sur la gouvernance bruxelloise sont pour l’instant inconnues. L’homme politique allemand Manfred Weber est considéré comme le deus ex-machina de ce centre-droit opportuniste à la limite du cynisme. Le Parti populaire vise à renforcer les politiques en matière de migration, de défense et de compétitivité. Autant de sujets chers à la droite, alors qu’il est moins évident de faire approuver certaines mesures en collaborant avec le centre-gauche. Ou vous avez simplement besoin de plus de compromis. En revanche, selon divers commentateurs, il serait impossible pour le Parti populaire de gouverner systématiquement avec l’extrême droite, compte tenu de leur propension anti-européenne qui les amène à voter constamment « contre ».

Le dilemme des socialistes

Les plus compromis sont les socialistes, auxquels adhère le Parti démocrate. Une source affirme que la rupture du cordon sanitaire n’est pas considérée comme un scandale pour le PPE. « Ursula von der Leyen est très pragmatique », a expliqué à EuropaToday une eurodéputée espagnole, qui préfère rester anonyme. « Toute la planification, y compris les calendriers d’audience et de vote, est réalisée par le PPE pour faciliter la collaboration avec les groupes d’extrême droite », a-t-il révélé.

Les socialistes restent néanmoins majoritaires. Prisonniers du sens des responsabilités ou des sièges qui leur appartiennent, en tant que deuxième groupe à l’hémicycle européen ? Échapper au « chantage » de von der Leyen est plus complexe que prévu. L’extrême droite n’a pas l’intention de gouverner l’Europe, et encore moins sous la direction de von der Leyen. Si les socialistes et les libéraux s’éloignaient de la majorité, l’UE risquerait de se retrouver dans une impasse totale, tant au niveau législatif qu’exécutif. Remettre les institutions européennes entre les mains d’anti-européens est un risque que peu de gens semblent prêts à prendre.

Le vote des commissaires

Le moment de vérité viendra bientôt. Les auditions des commissaires désignés sont prévues du 4 au 12 novembre. Devant les députés européens des différentes commissions, les « ministres » potentiels présenteront les projets de leur mandat en essayant de convaincre les sceptiques. Ce sera une bataille à risque. Il existe une chaîne qui relie toutes les nominations proposées par von der Leyen, même si elles représentent des groupes différents.

Le nom le plus difficile à avaler semble être celui de l’Italien Raffaele Fitto, nommé vice-président exécutif et commissaire désigné à la cohésion et aux réformes. Le représentant de Fratelli d’Italia représente le « cadeau » de von der Leyen à Meloni, même si le groupe Ecr ne fait pas partie de la majorité officielle. Il devrait obtenir le vote massif du PPE, mais pourrait être trahi par les branches S&D et Renew. Le rejet d’un ou de plusieurs commissaires revient à remettre en question tout le délicat équilibre mis en place par la politique allemande.

Mario Draghi comme alternative à Von der Leyen

Si le paquet des commissaires n’est pas adopté, il y aurait deux voies. Ou von der Leyen démissionne et renonce à son second mandat. Soit la dirigeante allemande comprend qu’il n’y a qu’une seule majorité qui peut vraiment la soutenir pendant encore cinq ans, elle retrousse ses manches et trouve des noms qui peuvent satisfaire pleinement les socialistes et les libéraux, sans plus trahir leur confiance, en exploitant leurs voix sur la base de occasions. Avec environ 26% de représentation, le PPE a de toute façon besoin d’alliances pour gouverner.

Le plan Draghi : 800 milliards immédiatement pour sauver l’Europe

Selon le journaliste Christian Spillmann, expert des questions européennes, une démission de von der Leyen pourrait conduire à une nomination inattendue. Celui de Mario Draghi, vers qui von der Leyen elle-même s’est tournée pour faire rédiger le complexe rapport sur la compétitivité. Son expérience sur les questions économiques permettrait également de rassembler un consensus parmi les chefs de gouvernement, dont le mandat est essentiel pour gouverner à Bruxelles. Mais cela reste une hypothèse encore très lointaine. Concernant les votes des commissaires, pour l’instant le silence reste scellé. Socialistes et libéraux espèrent que von der Leyen renoncera à la « majorité liquide » et s’engagera exclusivement en faveur de celle-ci pour le prochain mandat. Une promesse de fidélité difficile à tenir.